ACARIE
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| Sujet: LILLE SOUS AUBRY Jeu 27 Juil - 12:38 | |
| Lille : voyage au bout de la friche, avec les naufragés de Saint-SauveurLe dernier été de la friche Saint-Sauveur ? Depuis la fin juin, et une ordonnance d’évacuation rendue par la justice, les occupants du campement sont en sursis. Là, à deux pas de la mairie, du parc Lebas et des terrasses sympas des restaurants, vivent depuis quatre ans quelques dizaines de personnes, sans-abri français ou étrangers, organisant leur survie au milieu des rats, des trafics, de la violence et d’une misère écrasante. Premier volet de notre enquête.Sans abri et migrants peuplent, depuis 2019, le campement de la friche Saint-Sauveur.Par SAMI CHEBAH – PHOTOS BAZIZ CHIBANEPublié:26 Juillet 2023 Ceux qui empruntent la partie aérienne de la ligne 2 du métro l’ont au moins vue une fois d’en haut cette friche. En bas, côté rue de Cambrai, il faut enjamber les petits blocs de béton pour pénétrer dans cette zone où beaucoup d’associations ne viennent plus depuis de longs mois. Trop dangereux. À lire aussi Lille : l’évacuation de la friche Saint-Sauveur approche, les associations alertentSur un espace grand comme un terrain de foot, des cabanes de bric et de broc s’adossent les unes aux autres dans un décor de désolation. Ici, quatre personnes sont mortes en deux ans, dont trois au printemps dernier (lire plus loin).L’entrée du terrain squatté de la friche Saint-Sauveur, refuge pour beaucoup d’âmes en détresse.Tous les sans de la ville
Au tribunal, les affaires de trafics de drogue, de prostitution forcée, de séquestration dessinent le portrait d’une friche de l’enfer, un creuset de précarité et de violence qui se nourrit de ceux qui s’y réfugient. Tous les « sans » de la ville : migrants sans famille, dealers sans vergogne, gens de passage sans but précis, précaires sans domicile fixe, toxicomanes sans boussole, prostituées sans choix. À lire aussi Lille : la justice suspend l’évacuation de Saint-Sauveur, une audience prévue le 8 aoûtOn enjambe les blocs de béton. Un autre monde. À l’entrée, des jeunes hommes assis sur de vieilles chaises qui s’enfoncent dans la terre sale vous accueillent l’œil sombre. « Tu cherches quoi ? Tu viens voir qui ? » On décline notre qualité de journaliste. Ils restent assis, laisser-passer tacite. On s’enfonce, par les ruelles bordées de déchets, qui mènent à des cabanes de bois. Les portes en planches ne ferment pas vraiment, ou alors avec un bout de ficelle trop court. Derrière l’une d’elles, un matelas usé et un canapé crasseux sur lequel se courbe Adèle.Une sorte de grange a été aménagée au milieu du camp. PHOTO : BAZIZ CHIBANE / LA VOIX DU NORD - VDNPQRProstitution et cocaïne
Elle a 25 ans, des cheveux longs et un visage osseux. Prostitution et cocaïne depuis ses 17 ans. Adèle cuisine son caillou de crack sur la petite table devant elle. Dans la pénombre, elle a l’air aussi fragile qu’un papillon à qui on aurait cramé les ailes. C’est sa propre famille qui a mis le feu. « J’ai commencé à tapiner, j’étais mineure. C’est un peu à cause de ma mère en fait, elle se droguait. J’avais 16 ou 17 ans. Ça s’est enchaîné hyper vite. Son dealer m’a dépucelée ; il m’a mise au travail ; j’ai commencé à taper la coke. Tout ça en un mois. Ma mère, ça l’arrangeait. C’est moi qui amenais l’argent et la drogue. »Des petits cabanons ont poussé, pendant les quatre dernières années. PHOTO : BAZIZ CHIBANE / LA VOIX DU NORDOn demande si elle sait, pour les filles forcées, pour les séquestrations dans la friche. Dans l’obscurité de la cabane, elle préfère qu’on chuchote. « Les filles qui sont ici, elles sont pas vraiment obligées de tapiner… Elles le font pour leur dose. » Certaines se prostituent du côté de la porte de Gand et reviennent à la friche chercher du produit. D’autres, en manque ou trop faibles, se bradent sur place.Une femme très abîmée se tient devant une cabane fermée par une couverture. Elle a les mains gonflées des toxicomanes à la rue, elle veut bien parler. Mais contre de l’argent, parce que tout se monnaie. On passe notre chemin, pendant que de jeunes hommes, stoïques, surveillent la scène du coin de l’œil.« Ce qui manque le plus, c’est l’eau »
Issam, originaire de Guinée, la vingtaine, visage doux, est un peu à l’écart de ce monde de violence. Il représente cette autre facette, ces migrants et ces précaires qui n’ont qu’un but dans cette friche : en sortir. Lors de notre rencontre, Issam poursuivait des études dans un lycée professionnel, section maçonnerie. « Ce qui nous manque le plus, c’est l’eau, témoigne-t-il. On va en chercher mais c’est un peu loin. » Il pointe le parc Lebas, à 500 m.Un peu de chaleur autour du brasero de fortune, au coeur de la friche. PHOTO : BAZIZ CHIBANE / LA VOIX DU NORDEn hiver, les habitants du bidonville se rassemblent autour de braseros alimentés de charbon de bois. La peur de l’incendie, dans les cabanes, ajoute à l’angoisse du froid glacial. La nourriture manque aussi. « Il y a des associations qui viennent de temps en temps. Et une dame aussi, qui passe le dimanche. Elle apporte du riz, avec un peu de sauce. Du café. »« Je me suis fait ma cabane »
Diallo, 25 ans, voix posée, de Guinée lui aussi, est une ancienne figure de la friche. Il raconte la solidarité, les repas partagés avec ceux qui n’ont rien. Des pots communs, deux ou trois euros chacun, pour aller « acheter de l’huile pour cuisiner une sauce pour le riz ».Arrivé en France en novembre dernier, Aboubacar ne vit pas au campement. Mais il s’y rend régulièrement, pour passer une nuit au sec, quand il pleut trop fort et quand sa tente plantée près de la Porte des Postes prend l’eau, ou pour voir ses vieux amis. Parmi eux, Abdul, qui dort dans un cabanon parce que « se loger à Lille [lui] coûterait trop cher ». « La police nous met tous dans le même sac, soupire ce vingtenaire affable. Est-ce qu’il y a des gens qui trafiquent ? Si je vous disais non, je serais un menteur. Mais nous, on n’a rien à voir là-dedans. »PHOTO : BAZIZ CHIBANE / LA VOIX DU NORDSalima, d’Anvers, 40 ans, a atterri ici sans qu’elle nous explique vraiment pourquoi. Elle est enceinte de huit mois. Son urgence, quitter ce bidonville, sa violence et ses rats. « Les dossiers de logements sont longs, et dans le privé c’est trop cher. Alors en attendant, je me suis fait ma cabane ici. » Elle survit avec des cigarettes achetées en Belgique, qu’elle revend 50 centimes l’unité.La friche, c’est tout cela à la fois. La précarité, la solidarité, la violence et des rats partout. Chacun sait ici qu’il y a eu des morts. Et chaque jour, comme chaque nuit, des ombres enjambent les blocs de béton qui séparent la vie de la friche de l’autre vie, les uns pour un tout petit peu de chaleur, les autres pour un demi-gramme de drogue. Au-dessus, le métro aérien file. En bas, la survie continue.Une hécatombe et des questions
Des corps sans vie, retrouvés sur un canapé défoncé ou dans un cabanon. Trois décès en moins de trois mois sur le campement. Un homme de 42 ans, le 21 mars. Un autre de 23 ans, le 27 mai. Un dernier de 29 ans, le 6 juin. Une série noire qui a braqué, au printemps, tous les regards sur la friche Saint-Sauveur, où une femme avait déjà perdu la vie en 2021. Et une hécatombe qui illustre la dégradation de la situation sanitaire et sociale du bidonville, rongé par la misère et les trafics. Interrogée par France 3, la procureure de la République de Lille, Carole Étienne, avait qualifié de « particulièrement suspect » le décès du 27 mai, et indiqué que l’enquête s’orientait vers un homicide volontaire.. | |
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