«Gauche du travail» contre «gauche des allocs» : «Ce n’est pas un dérapage de Fabien Roussel»
En évoquant une gauche qui « doit défendre le travail » et « ne pas être la gauche des allocations », le leader du PCF Fabien Roussel a jeté un pavé dans la mare de la NUPES, vendredi à la Fête de l’Humanité. Comment interpréter cette sortie médiatique ? Des éléments de réponse avec le politologue Bruno Cautrès. Pour Bruno Cautrès (à gauche), Fabien Roussel évoque un élément de la culture communiste traditionnelle. «Il y a toujours eu dans l’histoire du PCF une référence importante à une classe ouvrière qui trouve sa dignité dans le travail.»
Par Julien Lécuyer Publié: 12 Septembre 2022 à 19h52
« La formule est choc, c’est vrai. Mais ce n’est pas un dérapage de Fabien Roussel, qui, on l’a vu pendant la présidentielle, affectionne les punchlines. Après, cette opposition est une ligne de fracture qu’on connaît bien à gauche. On se souvient de Ségolène Royal, en 2007, qui disait croire dans la valeur travail. On retrouve un élément de la culture communiste traditionnelle. Il y a toujours eu dans l’histoire du PCF une référence importante à une classe ouvrière qui trouve sa dignité dans le travail. »
« C’est un crash-test intéressant pour la NUPES »
– La « gauche du travail », François Ruffin (LFI) l’évoque aussi, sans provoquer autant de réactions. Pourquoi ?
« Oui, mais dans un style très différent. Il n’est pas un pur produit du communisme. En toile de fond, il y a toujours le problème que rencontre la gauche : celui de renouer avec les catégories populaires, qui s’abstiennent ou votent très fortement pour Marine Le Pen. Dès la campagne présidentielle, Fabien Roussel en a appelé aux valeurs très traditionnelles : le bon vin, la bonne viande, le barbecue… Sur ces signes culturels, on voit qu’il existe un gouffre entre une Sandrine Rousseau (EELV) et lui. C’est un crash-test intéressant pour la NUPES, qui va devoir gérer cette diversité pour en faire une force. »
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Ces différences ne sont-elles pas irréconciliables ?
« Les divergences existent depuis l’origine des gauches en France et ce serait une erreur de perspective de dire que c’est dû à Rousseau, Mélenchon ou Roussel. La gauche a toujours été divisée sur l’expérience communiste. Et rappelons-nous les communistes publiant L’Union est un combat, où se posait déjà le problème de l’unité avec les socialistes. Cela n’a pas empêché la gauche d’avoir une mire commune : le changement socio-économique et un leader capable de gagner la présidentielle. Ça a permis à la gauche de se surpasser. Aujourd’hui, la gauche cherche à recréer la combinaison magique de 1981, qui a permis l’alliance des classes moyennes et classes populaires, en jouant les cartes de la justice sociale pour les plus fragiles et du changement culturel pour les plus éduqués. Mais, avec la greffe de l’écologie, elle a du mal à incarner ça. »
« Roussel repose la question des valeurs de gauche »
– On entend à gauche l’idée que Roussel ferait le jeu de l’extrême droite…
« Il ne faut pas se payer de mots. Roussel repose la question des valeurs de gauche. Est-ce l’universalisme ou l’affirmation d’une spécificité nationale ? Ce sont des vieux clivages, qu’on retrouve sur la question de la laïcité, entre gauche républicaine, communistes et écologistes. Si la gauche veut que la dynamique de la NUPES soit positive, elle a intérêt à s’entendre plutôt que de s’envoyer des anathèmes. L’expression de divergences idéologiques au sein d’une coalition doit être une richesse pour que le filet de pêche soit le plus large possible le jour de l’élection. Mais si ça devient des éléments de conflictualité, la gauche a déjà bien connu les conséquences… jusqu’à la présidentielle de 2022. »